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[Critique] Salamandra (2008)

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Enfant de Patagonie peut-on lire sur l’affiche, à juste titre. Salamandra c’est l’histoire du réalisateur alors enfant, emmené malgré lui dans cette région d’Amérique du Sud si mystérieuse et qui aujourd’hui encore sert de refuge à certains marginaux épris de liberté. Récit plus ou moins autobiographique d’un homme qui se penche sur son passé et son enfance il  y a une vingtaine d’années, à la sortie de la dictature argentine et de ce qu’on a appelé la “guerre sale”. Mais à l’illustration traditionnelle d’une vérité passée, Agüero se substitue par une vision mentale totalement déconstruite. Il s’agit là d’un parti pris qui fait à la fois la singularité du film mais aussi sa plus grande faiblesse, car dans cette succession d’images et de souvenirs parfois presque évaporés, le spectateur peut rapidement perdre pied. Et c’est ce mode de narration qui en est l’unique cause, la trame du récit n’étant pas toujours identifiable et usant d’artifices parfois déroutants. On comprend aisément pourquoi, il s’agit là de livrer non pas un portrait mais une sorte de récit initiatique à vocation universelle, s’affranchissant donc plus ou moins de ses personnages qui pourraient très bien vivre la même situation au coeur de la Chine profonde ou dans les plaines de la Sibérie. L’intention et les ambitions sont louables, en particulier pour un premier long métrage, et il faut avouer que ça fonctionne très bien la plupart du temps, mais il en résulte un film très exigeant pour le spectateur qui s’implique, et parfois peut-être trop.

salamandra 1 [Critique] Salamandra (2008)

Le principal outil à remettre en cause est l’ellipse, procédé à risques au cinéma, qui peut ouvrir une superbe voie à l’interprétation et à la réflexion mais aussi, et c’est le revers de la médaille, qui peut noyer la temporalité. Mais là encore, si la technique est utilisée parfois avec maladresse, elle est d’une logique imparable, le récit étant une mise en images de souvenirs. Et les souvenirs ne suivent jamais une ligne temporelle précise, ce sont plus des bribes de scènes. Sauf que la conséquence immédiate est que le film ressemble plus à une succession de scènes qui peinent à être cohérentes entre elles sur la durée. On mettra ça sur le compte de l’inexpérience car à côté de ce souci formel Salamandra nous propose une expérience de cinéma assez intense par sa mise en scène et les thématiques qu’il aborde.

Ce lieu étrange de Patagonie appelé El Bolson est à la fois un carrefour des civilisations et des cultures, mais aussi pour Inti et sa mère Alma le point de départ de leur nouvelle vie, faisant table rase de l’existence passée qu’on imagine difficile (Alma mentionne simplement qu’elle a été enfermée). Salamandra tire sa force de là, un lieu hors du temps et des lois, régi par ses propres codes et existences, qui symboliser la renaissance d’un noyau familial. Sujet délicat que celui de la construction d’une relation filiale au milieu d’une foule de personnages hauts en couleurs qu’on croirait presque sortis d’un film de Kusturica, l’ambiance fantaisiste en moins, l’âpreté et la violence en plus. Cela se traduit par une véritable initiation d’un enfant qui se retrouve entouré d’adultes qui n’ont jamais grandi, une famille de hippies inconscients qui vont pourtant contribuer à le faire évoluer d’une certaine manière.

salamandra 2 [Critique] Salamandra (2008)

Le soucis est qu’en s’attachant avant tout à ce couple de personnages mère/enfant, le réalisateur en oublie certaines figures secondaires à fort potentiel, comme cet homme qui prend Inti sous son aile, une sorte de sage plutôt obscur qui aurait mérité un traitement plus poussé. Malgré ce bémol, on reste subjugué par ce couple! Les deux personnages apprennent à se connaitre en même temps qu’ils apprennent à vivre, et on peut dire que cet apprentissage se fera dans la douleur. Sans cesse sur la défensive, ils ne trouveront le sourire que dans des situations assez paradoxales, vivront des petits drames en restant coincés dans un bonheur tellement fantasmé qu’ils en oublient la réalité. Mais cette initiation difficile reste passionnante par son traitement jamais pathétique, jamais voyeur, toujours juste et âpre.

Cette âpreté se retrouve dans la mise en scène. Pablo Agüero prend le parti de livrer des images qui n’ont rien de “beau”, un comble pour un lieu à priori paradisiaque. Armé de sa caméra à l’épaule, il filme au naturel et à l’énergie, construisant des plans séquences efficaces pour un ensemble qui recherche l’immersion totale, à la frontière entre fiction et documentaire. Salamandra se livre comme un trip sous acide, un récit initiatique vu avec les yeux d’un enfant. Vision forcément déformée de la réalité, parasitée par l’éclat des souvenirs épars, surchargée de personnages bizarres et de visions presque cauchemardesques, le film est parfois maladroit et a parfois tendance à perdre le cap au fil de ses errances, mais l’expérience ne manque pas d’intérêt et laisse de beaux espoirs pour le futur du cinéma argentin, définitivement capable de tenter des choses nouvelles. D’autant plus que les acteurs sont formidables avec l’apparition savoureuse de John Cale (ex du groupe Velvet Underground).


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